Type de document : research article

Auteurs

1 Department French Language and Literature, Lecturer Allameh Tabatabaii University, Tehran, Iran

2 Department French Language and Literature, Lecturer Arak Branch,Azad Islamic University, Arak,

Résumé

Cet article se fixe comme ambition d’expliquer, après avoir dûment défini la théorie lefèvrienne, à l’appui de la méthode d’analyse descriptive textuelle, la traduction française du " Ney Nameh" de Mawlânâ par Leili Anvar en mettant l’accent sur le modèle septénaire d’André Lefèvre. Il s’agit de savoir dans quelle mesure ce modèle septénaire peut être appliqué à la présente traduction et quelle stratégie la traductrice a-t-elle mise en oeuvre? Les résultats de la recherche révèlent bien qu’il est impossible que les structures polysémiques, le style, les artifices rhétoriques, les métaphores, les allusions, le sens connotatif des images employées par Rûmî se coulent aisément dans le moule du français ; alors malgré la virtuosité de la traductrice, ses efforts dans la présente traduction convergent plutôt vers une traduction rimée ou littérale, voire une traduction en prose ou une interprétation. En effet, il lui a paru impossible de trouver un équivalent dynamique entre le texte source et celui d’arrivée.

Mots clés

Sujets principaux

Titre d’article [Persian]

بررسی تحلیلی ترجمه فرانسوی شعر «نی نامه» مولانا از لیلی انور بر مبنای رویکرد آندره لوفور

Auteurs [Persian]

  • مهرگان نظامی زاده 1
  • بهزاد هاشمی 2

1 گروه زبان و ادبیات فرانسه، دانشگاه علامه طباطبایی ، تهران .ایران

2 گروه ربان و ادبیات فرانسه، دانشگاه آزاد اسلامی ، واحد علوم و تحقیقات تهران، تهران ، ایران

Résumé [Persian]

این مقاله بر آن است تا پس از تبیین دقیق نظریه لفور، با استفاده از روش تحلیل توصیفی متن مدار، ترجمه فرانسوی «نی نامه» مولانا از لیلی انوار را با تأکید بر الگوی هفت گانۀ آندره لوفور مورد بررسی قرار دهد. حال باید دانست که این الگوی هفت گانه تا چه اندازه می تواند در ترجمه حاضر اعمال شود و اینکه مترجم در کدام استراتژی موفق تر بوده است؟ نتایج تحقیق به وضوح نشان می دهد که ساختارهای چند معنایی، انواع استعاره ،تمثیلات ،ایهام یا معنای ضمنی تصاویر شعر مولانا به راحتی در قالب فرانسوی نمی گنجد. بنابراین علیرغم مهارت و تسلط مترجم بر متن، تلاش های او در ترجمه حاضر بیشتر به سمت ترجمه قافیه دار یا تحت اللفظی، حتی ترجمه منثور یا تفسیری، گرایش دارد. در واقع، یافتن معادل پویا در متن متن مقصد برای او غیرممکن بوده است.

Mots clés [Persian]

  • ترجمه شعر"
  • نی نامه"
  • مولانا"
  • اندره لوفور"
  • "
  • رویکرد هفت گانه

Titre d’article [English]

The French translation’s analytical study of the poem "Ney Nameh" of Mowlânâ, translated by Leili Anvar following the approach of André Lefèvre

Résumé [English]

This study aims to explain, after having duly defined the Lefèvrien theory, in support of the method of textual descriptive analysis, the French translation of the "Ney Nameh" of Mawlânâ by Leili Anvar with the accent on the septenary model by André Lefèvre. Therefore, it is necessary to know to what extent this septenary model can be applied to the present translation and by which strategy did the translator succeed better? The results of the research clearly show that it is impossible for the polysemic structures, the style, metaphors, allusions or the connotative meaning of the images used by Rûmî to be easily translated into French; so despite the virtuosity of the translator, her efforts in the present translation converge rather towards a rhymed or literal translation, even a prose translation or an interpretation. Indeed, it seems impossible to find a dynamic equivalent between the source text and the target text.

Mots clés [English]

  • André Lefèvre
  • Mawlânâ
  • Ney Nameh
  • poetic translation
  • septenary model

Le Masnavi de Mawlavi est l’un des trésors de la littérature persane et fait partie du patrimoine culturel iranien, qui a constamment suscité l’intérêt des orientalistes. Suite à l’expansion de la vague persane en Europe au 17e siècle, la réception de Mawlavi parmi les Européens a pris de l’ampleur et s’est manifestée sous diverses formes : la traduction de Rûmî en vers ou en prose ou tout simplement son adaptation. « Les premiers contacts avec la pensée de Rûmî se seraient faits par l’intermédiaire des observations des pratiques des derviches, dits des derviches tourneurs, et leur danse rituelle Samâ lors des voyages des diplomates et des orientalistes dans l’Empire ottoman, où ceux-ci fascinaient les voyageurs européens » (Sedaghat, 2015 : 31). Son oeuvre est alors traduite en langues européennes, y compris le français : sa première traduction en allemand a été faite en 1799 par Jacques van Wallenbourg, qui le traduisit également en français ; ce que fit également Henri Massé en 1949, puis Pierre Rubin en 1955 en a traduit quelques poèmes. En 1950, un poète surréaliste turc, Âsaf Hâlet Çelebi, publie 276 quatrains de Mawlavi en français. En 1973, Eva de Vitray-Meyerovitch a rendu l’ensemble du Masnavi en français, assistée par Jamshid Mortazavi. En 1993, Mahin et Nahal Tajdadod en collaboration avec J.-C. Carrière ont traduit et publié certains ghazals de Mawlavi. En 1998, Christian Jambet a traduit plusieurs poèmes de Mowlânâ, et finalement la dernière traduction française qui fait l’objet de notre recherche est réalisée par Leili Anvar, universitaire, spécialiste du monde iranien et maîtresse de conférences à l’INALCO à Paris, sous le titre Rûmî, rituel d’amour, parue en 2011.

La poésie de Rûmî, reflet de la culture mystico-islamique, s’est imprégnée de sa culture et ses racines, ses images poétiques sont enracinées dans la culture soufi et la mémoire historique iranienne, dès lors il paraît impossible pour le lecteur européen de percevoir les termes connotatifs et polysémiques de Masnavi à moins qu’il ne soit initié au passé historique et au mysticisme iraniens. Les auteurs de la présente recherche tentent, une fois introduite la théorie d’André Lefèvre, de passer au crible la traduction française du poème "Ney Nameh" réalisée par Leili Anvar, sur la base des sept stratégies de Lefèvre. L’article cherche également à apporter des réponses appropriées aux questions suivantes : la méthode proposée par Lefèvre est-elle applicable à la présente traduction ? Parmi les sept stratégies, laquelle conviendrait-elle à cette traduction ? Il faut rappeler que le choix de ce poème se justifie par « le plus grand nombre de traductions réalisées à partir de celui-ci en langue française » (Ibid. : 56).

1- Perspectives historiques de la recherche

Des rares recherches qui ont été réalisées à propos des traductions des poèmes de Rûmi en français, on peut énumérer les études suivantes : Amir Sedaghat. (2015) qui dans le cadre d’une thèse de doctorat Le soufisme de Rûmî reçu et perçu dans les mondes anglophone et francophone, a passé en revue l’histoire de la traduction de Rûmî en français tout en examinant ses transpositions à partir des théories en vigueur de la traduction. Le même chercheur, dans un article paru en 2020, Rûmî traduit, Rûmî réécrit : enjeux politiques d’une réception, analyse, en se référant aux traductions de Mawlavi en anglais et en français, les distorsions produites au cours de ses traductions suivant les époques. Masoumeh Ahmadi (1398/2019) dans Transposition des éléments esthétiques de Recueil de Shams lors de la traduction française d’Eva de Vitray-Meyerovitch, partage l’esthétique de la poésie en deux parties : la superstructure (langue et musique) et l’infrastructure (contenu et pensée cachés dans les mots) ; l’autrice a passé au crible les éléments esthétiques du poème de Rûmi dans la traduction française d’Eva de Vitray-Meyerovitch, en se basant sur le modèle de Vinay et Darbelnet. Fatemeh Sarparast (1396/2017) dans Critique de la poésie mystique selon l’approche de Lefèvre examine et évalue la compréhension de Mohammad Al-Farti des termes et expressions mystiques dans les poèmes lyriques de Hafez. Mais jusqu’à présent, aucune recherche n’a été réalisée dans notre pays concernant les sept stratégies d’André Lefèvre et leur applicabilité à la traduction française de Rûmi, et c’est la première fois qu’une telle étude est effectuée.

2- Débats et analyse

Lors la traduction de la poésie, en plus de préserver la beauté formelle comme le rythme et la rime, le maintien de la charge culturelle aussi bien que de la valeur sémantique du texte source doit constituer une priorité, mais lorsque les langues diffèrent en terme de forme et de structure syntaxique, afin de recréer un texte équivalent dans la langue cible, la structure du texte original subit à coup sûr des modifications, ce qui provoque la perte de la beauté et de l’équilibre du texte de départ. A partir du moment où une large partie de poésie de Rûmî réside dans son rythme, lequel comprend une large gamme de procédés prosodiques et de mouvement interne, il est donc pratiquement impossible de le restituer dans son intégralité lors du processus de traduction : le rythme d’un poème est propre à la langue dans laquelle le poème a été écrit. Par ailleurs la polysémie des termes comme soufisme, ney, mysticisme, gnose, amour, etc. variant selon les contextes historiques et culturel divers, pose déjà un défi majeur à la transposition du système linguistique persan vers le français. Ainsi lors de la traduction du poème ‘Ney Nameh ‘, le poème a perdu de sa valeur poétique, musicale, esthétique et connotative ; transformé en un texte en prose dépourvu de l’esthétique initiale.

3- Le corpus :

Chaque langue posséde une structure propre à elle-même, avec un grand écart entre la valeur sémantique des mots de la langue source et ceux de la langue d’arrivée. Par ailleurs les différences sont notables dans le domaine de la poésie, où la forme et le font sont indissociables. Selon Paul Fussell, « dans tout poème, la forme est la moitié du sens » (Fussell,1979 : 109). Dès lors, certains estiment que la poésie est intraduisible, chose possible en pratique mais impossible en théorie. André Lefèvre a proposé la recréation comme une solution dont il fut lui-même le concepteur. D’après Antoine Berman : « le poème est par essence intraduisible du fait des liens étroits entre la forme et le contenu, et l’intraduisibilité est la qualité intrinsèque de la poésie » "(Berman, 1995 : 60). Le débat portant sur la théorie de sept stratégies d’André Lefèvre est le point le plus essentiel de la critique de la traduction, en particulier celle de la poésie ; Lefèvre est l’un des théoriciens à avoir reconnu la traduction comme une discipline indépendante et dans son important ouvrage Sept stratégies et un plan directeur il a exprimé ses opinions dans ce domaine. En examinant différents types de traductions, il a relevé des "distorsions" au sein de ces traductions, comme suites naturelles d’interprétations, de clarifications et de rajouts.

4- Les hypothèses de la recherche

Il semble que, lors de la traduction de "Ney Nameh”, Leili Anvar ait plutôt recours à la traduction littérale ou parfois à l’interprétation ; la transposition intégrale des valeurs poétiques, en particulier celles de la poésie mystique de Rumi, est pratiquement impossible en français, d’autant plus que la valeur connotative et la signifiance des notions mystiques de Rûmi a posé un défi majeur à la traductrice.

5- Bases théoriques de la recherche : dans le cadre de cette recherche, après avoir introduit les principaux concepts de la théorie de Lefèvre, nous procéderons à l’analyse de la traduction de "Ney Nameh" suivant les sept stratégies d’André Lefèvre.

6- Les sept stratégies d’André Lefèvre

Traduction littérale : l’accent est mis ici sur une traduction qui se fait mot à mot et sur la fidélité à la langue du texte source, sans tenir compte du sens connotatif des mots du texte d’origine : « dans ce type de traduction, le sens est sacrifié au profit d’une traduction peu familière et dépourvue de sens et de structure du texte de départ » (Sarparast, 1397 :47), lequel subit des distorsions. Les relations intratextuelles et symboliques souffrent de graves pertes et le texte final comporte des éclaircissements supplémentaires. 

Traduction rythmique : dans ce cas, la beauté du poème ne se résume pas au choix des mots et du langage métaphorique, la création de rythme et de rime est grandement valorisée. Le poème est traduit en poème et son effet esthétique passe par le mètre. Le trait dominant de ce type de traduction est que : « Le rythme est maintenu, mais d’autres aspects du poème, tels le sens et la syntaxe, subissent des modifications » (Lefèvre, 1975 : 41). Son objectif consiste à créer de la joie et du plaisir chez le lecteur, au prix du sens ; la répétition des mots et des lettres crée un effet harmonieux et la préservation de la résonance et la mélodie du poème original est l’objectif primordial de cette méthode de traduction.

Traduction en prose : à ce stade, le transfert de contenu vient en premier, le premier souci du traducteur est de transposer la signifiance du poème en se servant de plus de mots ; les phrases sont généralement plus longues : « Lors de la traduction en prose, on sacrifie l’utilité à l’esthétique, la traduction comporte des distorsions et des beautés formelles ; le sens est maintenu, mais la résonance poétique disparaît »( Ibid. :42). Car selon Meschonnic « les systèmes linguistiques sont incompatibles entre eux, et une certaine beauté formelle doit être sacrifiée pour permettre le transfert de sens » (Meschonnic,1973 : 334). La vertu formelle du texte d’origine étant diminuée, sa valeur communicative sera également réduite.

Traduction interprétation : dans ce cas, la teneur et le contenu du poème original sont maintenus, mais aussi bien la structure que la texture du texte original sont déformées, partant une grande partie des beautés formelles et extérieures du texte d’origine est sacrifiée : « Le texte est prêt à être reçu, mais au dépens de la structure et de la texture » (op.cit. : 42). Ce type de traduction étant plus aisé à réaliser, les principaux concepts du texte source seront rendus et il sera procédé à la recréation d’un nouveau texte.

Traduction phonémique : à ce stade, la sonorité et le timbre sont restitués ; chaque phonème est rendu par un phonème similaire ; mais d’autres aspects du poème sont sacrifiés. Ce type de traduction se caractérise par l’emploi de mots de même racine et d’homophones ; elle est fréquente surtout entre les langues proches qui possèdent un système phonologique commun, comme le français et l’anglais. Lefèvre lui-même en vient à cette conclusion : « Cette traduction est efficace pour reconstituer l’étymologie des mots liés entre eux et les onomatopées, pourtant elle nuit à la charge sémantique du texte source » (Lefèvre, 1975 : 24).

Traduction rimée : la rime est la plus difficile à rendre, du moment que la forme et le fond sont indissociables en poésie ; le choix des termes mélodieux et l’emploi de rimes et d’assonances est l’objectif ultime de cette étape. Le résultat de la traduction est souvent un poème rimé, pour fausse soit-elle. Une agréable sensation de sens accompagnée d’une musique propre à augmenter l’effet de rythme et de sonorité chez le public est une autre ambition de ce type de traduction. La perte de sens et de signifiance dans le texte cible due aux différences de structure des langues est l’un des défauts de cette approche. Shafi’i Kadkani, citant Robert Frust, a déclaré : « La poésie est ce qui se perd lors de la traduction et disparaît dans l’interprétation » (Shafi’i Kadkani, 2011 : 2). Pour reprendre les termes de Lefèvre « les mots auront un sens différent, ce qui se traduit par un texte fastidieux, trop littéral et chargé de lexique » (Op.cit. : 24).

Traduction en vers blanc : afin de mettre en valeur la littéralité du texte, le traducteur recourt parfois à une sorte de traduction rythmique : » Il en résultera un texte doté d’un haut niveau de littéralité, un rythme discordant et des phrases assez longues. Ce texte regorge d’ajouts et d’allongements » (Ibid.).

 

En fait, "Ney Nameh" est le condensé du Masnavi, œuvre divisée en six livres, regroupant 424 histoires allégoriques illustrant la condition humaine dans sa quête de Dieu ; ce recueil de poèmes composé de distiques à rimes plates a été composé au XIIIe siècle, Rûmî étant alors âgé d’environ 60 ans. L’ouvrage sert de lumière et de directive à ses disciples. Bien que sous forme d’un masnavi, l’œuvre prend l’aspect d’un ensemble lyrique chargé de mysticisme, dans lequel s’inscrit la description du Bien-aimé, de la passion et de l’exil. La simple lecture de "Ney Nameh" nous permettra de saisir tout le message véhiculé par Masnavi : ce poème embrasse toute la réflexion qui traverse cet ouvrage ; comme l’a déclaré à juste titre Zarrin Koob: « Ney Nameh est considéré comme la source de Masnavi, là où se cache le secret de ses six livres » (1368 : 19).

 نی نامه

7 La plainte de la flûte[1]

بشنو ازنی چون شکایت می‌کند     از جدایی‌ها حکایت می‌کند  

Écoute la flûte de roseau, écoute sa plainte

Des séparations, elle dit la complainte

Un coup d’œil à la traduction du premier distique de « Ney Nameh », nous permet de saisir les différences au niveau des éléments formels, sémantiques, lexicaux, grammaticaux et stylistiques choisis par la traductrice. Les points suivants font par ailleurs défaut lors de cette transposition : la prosodie et la tonalité, et le style du texte d’origine, le non-emploi du terme Ney « signifiant à l’origine l’Esprit Sacré ou l’Ame Pensante » (Zamani, 2013 : 51), lequel est chargé d’une valeur culturelle. La fidélité au sens apparent et à la valeur formelle des mots ainsi que l’emploi de l’article défini la devant flûte exprimant la généralité sont les points forts de cette transposition. Attendu que le « Ney » n’a pas d’équivalent français, son emploi ne suscite guère l’intérêt chez le lectorat francophone. Constituant un culturème, ce terme illustre l’intraduisibilité, et il aurait mieux valu utiliser le mot" ney" dès le départ. Catford énumère deux types d’intraduisibilité : l’intraduisibilité linguistique et l’intraduisibilité culturelle : l’intraduisibilité linguistique signifie l’impossibilité de trouver un équivalent dans la langue cible en raison des différences linguistiques ; et l’intraduisibilité culturelle a pour cause l’absence d’équivalent culturel dans la langue d’arrivée. (1965 : 98). Par ailleurs, le Ney est une métaphore de Rûmi ou une allégorie pour tout homme parfait) Zamani, 2013 : 51( ou pour tout être humain conscient et lucide devant ses propres vérités mais éloigné de son origine ; tout cela n’a trouvé aucune résonnance dans le texte cible, ce qui constitue un appauvrissement qualitatif. Par ailleurs lors de la traduction, l’adverbe " چون", ou " چگونه " désignant la manière ou le temps d’une action (Dehkhoda), n’a pas été rendu, et de ce fait a perdu une partie de son double sens. L’emploi du terme " séparations " pour "جدایی ها" met l’accent sur le fait d’être loin, tandis que جدایی dans ce vers fait allusion à la séparation de l’âme partielle (l’homme) de l’âme absolue (Dieu) (Zamani,2013 : 51) ; la charge sémantique de ces expressions est perdue lors de la transposition, ce qui revient à la perte de la richesse sémantique du texte d’origine. Une fois le message reçu, la traductrice l’a adapté et a seulement transmis le sens, à défaut de pouvoir rendre la vivacité et l’entrain du texte persan ; lors de cette étape, la traductrice a opté, suivant Lefèvre, la stratégie de la traduction littérale.

کز نیستان تا مرا ببریده‌اند     در نفیرم مرد و زن نالیده‌اند

Depuis que de la roselière, on m’a coupée

En écoutant mes cris, hommes et femmes ont pleuré

"Roselière" semble être un équivalent approprié pour " نیستان" sans tenir compte de la signifiance du terme, du moment que dans ce vers " نیستان " évoque le monde spirituel ou le paradis d’origine«(Ibid. : 52) ; cette notion a perdu en partie sa charge sémantique et connotative lors de la transposition. La deuxième partie commence par un gérondif, inexistant dans le texte de départ; lors de la traduction de "مرد و زن" la conformité structurelle est maintenue. Pourtant cette expression signifie l’existence ou le monde en entier et tous les êtres humains. De plus "نالیدن"signifie " gémir" et non pas "pleurer"  comme dans le texte. La traductrice s’est donc servie de l’approche, suivant Lefèvre, de la traduction littérale, au détriment de la charge sémantique des mots ; la rime est, pour autant, maintenue, mais au prix du rythme et de la musicalité du vers original.

Selon nous, ce vers pourrait signifier : depuis cet éloignement, homme et femme expriment mon gémissement ou encore depuis cet éloignement, l’expression des hommes, tant bien homme que femme, est, d’une manière à l’autre, la transposition de ma souffrance nostalgique.

سینه خواهم شرحه شرحه از فراق    تا بگویم شرح درد اشتیاق

Pour dire la douleur du désir sans fin

Il me faut des poitrines lacérées de chagrin

Lors de la traduction, le premier et le deuxième couplet ont été déplacés, pour une raison imprécise. Dans la deuxième phrase, au lieu de "poitrines" qui est donné au pluriel encore pour une cause obscure, il vaut mieux employer le concept "cœur" afin d’en rendre précisément le sens, compte tenu du sens implicite et métaphorique de "cœur "en français, qui est le foyer des sentiments, des pensées et des secrets (Le Petit Robert). L’emploi de ce terme pour transmettre le sens persan au public francophone est beaucoup plus expressif, bien que dans le cas présent, il signifie ‘le cœur’ d’un auditeur douloureux (un cœur soufrant, affligé). De plus, la beauté formelle due à l’homophonie analogique de " شرحه شرحه" en langue persane serait l’un des cas d’ « intraduisible linguistique » et ces images et métaphores dans la poésie de Rûmi sont propres à la culture mystique et leur transfert en poésie est sinon impossible, au moins très difficile »:Les termes mystiques sont par définition vagues et sujets à de nombreuses interprétations » (Sedaghat, 2020 : 4). Dans la deuxième phrase, l’emploi du mot "rupture" pour " فراغ " serait beaucoup plus pertinent, que" chagrin " renfermant l’idée de tristesse. Et à la place de l’expression" dire la douleur " il vaut mieux employer l’expression "confier la douleur" pour restituer" شرح درد" il fallait employer l’expression " désir fou ou désir ardent", beaucoup plus fort comme expression de sentiment, au lieu de " désir sans fin". L’oxymore lié à l’expression "douleur du désir" signifiant » la quête de Dieu et de la perfection) « Zamani : 54) n’a pas été correctement rendu vers le français. Aucun écho, lors de la transposition, ni allitération de [∫]. "ش"  La traductrice semble plutôt disposée à utiliser, suivant Lefèvre, la stratégie d’interprétation au lieu de restituer la sonorité et la musicalité des mots.

هر کسی کو دور ماند از اصل خویش     باز جوید روزگار وصل خویش

Ceux qui restent éloignés de leur origine
Attendent ardemment d’être enfin réunis

Pour des raisons floues, l’équivalent de " هرکسی" quiconque, est donné au pluriel, le concept de " اصل " signifiant « origine » n’a pas été correctement rendu, ce qui veut dire selon Rûmî « le monde surnaturel » (Jaafari, 1366/1987 : 54), mais selon nous la source originelle, Dieu. La deuxième phrase qui fait allusion au cheminement spirituel des êtres, en particulier des êtres humains « (Ibid. :54) est une traduction interprétative ; la structure et la texture du texte original ont été endommagées. Le jeu de mots " اصل و وصل" n’est pas restitué lors de la traduction ; la traduction est réalisée d’une manière littérale, elle contient des explications et des modifications supplémentaires. La traductrice a essayé de clarifier le texte de départ, le résultat etant une transposition interprétative.

 من به هر جمعیتی نالان شدم    جفت بدحالان و خوش‌حالان شدم

Moi, j’ai chanté ma plainte auprès de tous

Unie aux gens heureux, aux malheureux, à tous

La traductrice a employé le pronom indéfini "tous" pour faire rimer la traduction, négligeant le rythme et la valeur musicale du vers. L’ajout du "Moi "tonique au début de la phrase va dans le sens du texte d’origine, on entend "une assemblée" par  " بدحال" ،"جمعیت " signifiant» malheureux, malade et triste, etخوش حال"  "veut dire heureux et chanceux « (Zamani,1393/2014 : 55). Tout déplacement d’éléments affecte le sens de la phrase. Le contraste de deux concepts est bien restitué, avec des équivalents très proches du sens du texte de départ. Dans la deuxième phrase, la traductrice a procédé à la modulation, provoquant un changement dans la signifiance des concepts originaux. Dans la première phrase, la traduction est une interprétation et la traductrice en est venue à l’allongement.

هرکسی از ظن خود شد یار من    از درون من نجست اسرار من

Chacun à son idée a cru être mon ami

Mais personne n’a cherché le secret de mon âme

Le sens de la première phrase est « chacun m’a aidée et accompagnée en suivant son propre intérêt « (Ibid. :55). La traduction est complètement littérale en termes d’éléments lexicaux ; le sens du texte d’origine est restitué, mais au dépens de la beauté et de la mélodie. Lors de la transposition, la traductrice s’est contentée de traduire une seule couche du sens du poème ; au lieu de " à son idée a cru" il vaut mieux employer " selon son propre intérêt. "Le pronom indéfini "personne" qui sert d’emphase n’existe pas dans le texte original, l’emploi de" percer mes mystères au tréfonds de moi-même " est plus approprié que " chercher le secret". L’allitération de "ن" n’a pas été rendue lors de la traduction.

سر من از ناله من دور نیست    لیک چشم و گوش را آن نور نیست

Mon secret pourtant n’est pas loin de ma plainte

Mais l’œil ne voit pas et l’oreille est éteinte.

L’ajout de l’adverbe "pourtant" pour l’emphase, a mené à une traduction littérale de، دور نیست axée sur la langue d’arrivée. Le sens du vers est : « L’œil est privé de vue et l’oreille d’ouïe pour percer mes secrets cachés » (Ibid. :56). Le syntagme   " چشم و گوش " fait référence aux sensibilités superficielles, sa charge sémantique n’est pas restituée,نور" "est un symbole de la connaissance divine et une métaphore de l’intelligence. La traductrice n’est pas arrivée à opter pour une équivalence dynamique à cause de l’incompatibilité des deux langues ; ainsi le public francophone sera incapable de décoder ces données culturelles faute de connaissance du persan.

تن ز جان و جان ز تن مستور نیست   لیک کس را دید جان دستور نیست

Le corps n’est pas caché à l’âme ni l’âme au corps

Ce sont les yeux de l’âme seuls qui pourraient le voir

Le sens du vers est :» même si le corps et l’âme sont indissociables, personne n’est autorisé à voir l’âme « (ibid., P.57). L’approche choisie est celle d’une traduction interprétative, il a été procédé à l’allongement sans que pour autant l’équilibre ne soit établi ; son objectif serait de conduire le public francophone à la compréhension des signifiances. Mieux vaudrait traduire dans le sens : " Cependant, il est exclu, par principe, de voir l’âme ". Dans la première strophe, le jeu de mots ''دستور و مستور '' n’a pas été restitué ; par contre le chiasme ''تن زجان و جان ز تن '' est bien rendu ; la beauté mélodieuse du poème est en conséquence sacrifiée ; aussi bien la musicalité que la valeur sémantique y font défaut.

آتش است این بانگ نای و نیست باد   هر که این آتش ندارد، نیست باد

Le chant de cette flûte, c’est du feu, non du vent

Quiconque n’a pas ce feu, qu’il devienne néant

Il y a une légère modification dans la structure de la première phrase : " بانگ نی " rendu par "le chant", il devrait pourtant être traduit par " plainte ", plus compatible avec le chant de roseau ; l’emploi de "vent" s’associe à un instrument à vent. Dans ce vers, la traductrice a utilisé une approche plutôt axée sur la langue source. Le calembour " نیست باد " n’est pas rendu ." باد " est un substantif dans la première strophe tandis que dans la deuxième il possède une valeur verbale. Le deuxième آتش "" est une métaphore d’amour ou l’appel romantique du roseau. La charge musicale, portant une grande partie de la valeur sémantique, est ignorée. En passant outre l’équivalence dynamique, la traductrice a négligé ici la valeur sémantique et culturelle de la langue d’origine pour adopter l’approche d’interprétation suivant Lefèvre.

آتش عشق است کاندر نی فتاد   جوشش عشق است کاندر می فتاد

C’est le feu de l’amour qui en elle est tombé

Et si le vin bouillonne, c’est d’amour qu’il le fait

La traduction suit l’approche d’interprétation et la méthode littérale car la signifiance est loin d’être rendue. Il a été impossible de restituer intégralement la charge sémantique excessive du texte source. Le jeu de mots " نی و می " n’est pas rendu non plus. La traductrice a employé un pronom " elle » au lieu du mot " نی ", qui constitue une transposition; d’autre part, le conditionnel est absent du texte persan. L’allitération de ش [∫] n’a trouvé aucun écho dans la transposition.

نی، حریف هرکه از یاری برید     پرده‌هایش پرده‌های ما درید

La flûte est la compagne des esseulés d’amour

Et nos voiles, par ses notes, connaissent la déchirure

L’emploi de la locution adjective " esseulés d’amour"   pour exprimer la syntagme ''" از یاری برید constitue une modulation ; il vaudrait mieux traduire ainsi : « La flûte accompagne quiconque est séparé de l’être aimé «(Henri Massé ). Le premier " پرده " fait référence aux notes en musique, des chansons et des notes régulières, mais le deuxième "پرده" désigne la couverture et le hijab ; un très beau jeu de mots du" پرده " un terme musical et également la locution "پرده دریدن"  voulant dire percer un mystère. Il a paru impossible à la traductrice d’atteindre la couche inférieure du texte, et elle s’en est tenue au sens littéral : s’agissant là aussi d’une intraduisibilité de l’expression" پرده " , un terme doté de nombreuses interprétations dans le texte d’origine, qui en est privé dans le texte d’arrivée.

همچو نی زهری و تریاقی که دید؟              همچو نی دمساز و مشتاقی که دید؟

La flûte est le poison et l’antidote aussi

Elle est l’amant, elle est l’Aimé, elle est ainsi

L’expression » " زهر و تریاق " signifie à la fois le mal et le remède, le mal évoquant le chagrin et la séparation et le remède qui conduit l’âme humaine vers le Bien-Aimé « (Jaafari, 1366,P.18). Etablir aussi bien l’équilibre que la cohérence du texte a constitué un défi pour Leili Anvar ; les interrogations négatives ne sont pas restituées ; l’expression " دمساز و مشتاق " signifiant le compagnon du Roseau et épris d’union, n’est pas rendue. La figure " نی " a été bien transmise, et bien que la traductrice ait recréé son propre texte, les principaux concepts du texte d’origine sont restitués. La traduction est tout à fait conforme à la stratégie d’interprétation et la traduction littérale d’André Lefèvre.

نی حدیث راه پر خون می‌کند     قصه‌های عشق مجنون می‌کند

La flûte dit le récit du chemin plein de sang

Et les histoires des fous d’amour et des amants

La traductrice a eu de nouveau recours à l’approche littérale pour faire passer ''" راه پر خون dont le vrai sens rappelle « la Voie difficile et dangereuse menant à l’amour divin » (Ibid. : 60) ; l’expression fait référence au conte de Leîli et Majnoun, symbolisant de « véritables amants » (Ibid.,P.60). Des images, chargées d’une connotation particulière, qui appartiennent à la culture iranienne et impossibles à restituer, nécessitant des notes de bas de page. Dans la deuxième partie, Leili Anvar a procédé à l’adaptation pour rendre le texte plus compréhensible, mais aux détriment de la perte du contenu, déformant ainsi le texte d’origine. Ces culturèmes sont enracinés dans la mémoire historique iranienne et le public francophone n’arrive pas à les saisir sauf s’il est initié à l’histoire perse.

محرم این هوش جز بیهوش نیست    مر زبان را مشتری جز گوش نیست

Il faut avoir perdu la raison pour comprendre

Mais la langue n’a que l’oreille comme cliente

Le''هوش"(sens) est la métaphore de l’amour et "hors de sens"بی هوش incarne l’amant ; la phrase voulait dire:» les éléments de vérité ne peuvent être compris que par des mortels qui ignorent ce qui n’est pas vrai » (Ibid. : 60), seul l’amant (doué de conscience) en est le confident. La première partie est une traduction littérale et surchargée d’ajouts : les termes " هوش و بی هوش" ont été remplacés par des notions pauvres en richesse phonique et sémantique. La traductrice n’a pas pris en compte les aspects linguistiques et culturels du texte source, sans pour autant transposer les subtilités et les finesses du texte d’origine ainsi que ses aspects esthétiques et poétiques ; elle a adopté l’approche littérale de Lefèvre. Par ailleurs, l’allitération de " ش " [∫] n’a pas été restituée lors de la traduction ; par ailleurs "l’oreille" est personnifiée.

در غم ما روزها بیگاه شد     روزها با سوزها همراه شد

En ce chagrin brûlant, nos jours se sont perdus

Les jours sont devenus compagnons des brûlures

Il faut entendre " روزها " par la durée de vie. Dans la première partie, il valait mieux traduire " بیگاه شدن" par « se sont bien vite écoulés » ; par-là, Rûmî voulait faire entendre que : « la douleur des amants et leur désir de s’unir durent éternellement « (Ibid. : 61). Une grande partie de la beauté formelle et de l’attrait de la poésie de Rumi provient de l’emploi poétique de la langue persane qui n’a pas été restitué ; les non-dits de Rûmî ont perdu leur véritable valeur lors de la recréation. S’agissant d’une traduction littérale et des ajouts, ni le jeu de mots " روزها و سوزها " ni le procédé d’allitération n’ont été maintenus.

روزها گر رفت، گو رو، باک نیست    تو بمان، ای آن که چون تو پاک نیست

Voyant que les jours passent, dis : « Qu’ai-je à craindre ?

Reste, toi, qui n’as pas d’égal en pureté

La transposition de l’expression " گو رو " s’éloigne un peu du sens original du terme, le syntagme voulait dire : «peu importe,  ou advienne que pourra ! » . Il faut mettre le pronom Toi en majuscule, qui fait référence à « l’Amour Absolu » (Ibid. : 61). Ni le jeu de mots " پاک و باک " ni l’antithèse " رو و بمان " ne sont restitués. Pour ce qui est du premier vers, l’approche adoptée est interprétative et pour le second, littérale.

هر که جز ماهی، ز آبش سیر شد    هرکه بی روزی است، روزش دیر شد

Son eau vient à suffire si on n’est pas poisson,

Si on n’a pas de pain, les jours semblent plus longs

Il s’agit bien ici d’une traduction textuelle avec des ajouts dans le distique . Le " ماهی " étant une allusion à l’amoureux sincère et " آب " est une métaphore de l’amour infini, et " روزی " incarne l’amour (Ibid.). Par-là, le poète voulait dire : celui qui est privé d’amour, trouvera le temps trop long! Il s’agit bien ici d’un appauvrissement qualitatif : les expressions sont dépourvues de leur richesse sémantique et musicale.

در نیابد حال پخته هیچ خام     پس سخن کوتاه باید، والسلام

Un immature ne peut saisir l’état du mûr

Il ne faut plus rien dire alors, il faut se taire !

Dans cette transposition textuelle des métaphores et les comparaisons, les éclaircissements et les explications tiennent lieu d’équivalents dynamiques,comme ce qui est le cas de پخته و خام" " (signifiant un vrai mystique et une personne privée d’amour). Seul le contraste entre " mature et immature " est rendu. Dans la deuxième phrase, l’emploi de l’impersonnel est pertinent. L’adverbe " پس " est déplacé du fait de la structure de la langue cible. Pour rendre la seconde partie, nous pouvions dire: Il ne faut plus parler et c’est tout !

بند، بگسل، باش آزاد ای پسر    چند باشـی بند سیم و بند زر؟

Défais tes liens, sois libre, ô mon fils ! Jusqu’à quand

Resteras-tu prisonnier de l’or et de l’argent ?

Le mot " پسر " fait allusion aux liens entre disciple et maître ; le disciple dépend du maître, d’autant plus qu’un enfant dépend de son père. Le sens de la phrase est : La maturité et la perfection spirituelles nécessitent le détachement de biens mondains. Nous sommes donc en présence d’une traduction textuelle : la richesse sémantique et musicale n’est pas restituée, la traductrice s’est bornée aux phrases simples qui restent au niveau superficiel. Dans" ô mon fils " pourquoi employer l’adjectif possessif ? ''بند زر و سیم '' en se servant de cette expression, le poète demande à ce que l’on se libère de biens matériels. On voit que le syntagme est littéralement traduit ; d’ailleurs, il n’y a pas de cohérence sémantique et structurelle entre la première et la deuxième partie de la traduction.

گر بریزی بـحر را در کوزه‌ای     چند گنجد؟ قسمت یک روزه‌ای

Si tu verses l’océan dans une seule cruche
Tu n’emporteras de l’eau que pour une journée
!

Mawlavi met ici l’accent sur «la cupidité et l’appât du gain » (Ibid.) Le sens métaphorique et la structure interrogative ne sont pas restitués. La traductrice s’est limitée à transmettre la couche superficielle du texte. La traduction est libre et l’approche adoptée est celle de l’interprétation.

کوزه چشم حریصان پُر نشد     تا صـدف قانع نشد پر در نشد

La cruche des yeux avides reste vide à jamais
Tant qu’elle n’est pas contente, l’huître n’a pas de perles

Dans la première partie, " حریصان " n’est pas un adjectif mais un nom commun, s’agissant bien ici d’une modulation ; cette traduction textuelle ne restitue aucunement le sens et la musicalité du texte d’origine. La traduction du second vers en est l’exemple : étant un culturème, cette partie demande des notes de bas de page : "L’œil du cupide, aussi limité soit-il, ne sera jamais rempli " (Ibid. : 62). Ici la traduction ne peut susciter l'intérêt du lecteur francophone, à défaut d’établir un lien avec le texte d’origine.

هر که را جامه ز عشقی چاک شد     او ز حـرص و جمله عیبی پاک شد

Mais quiconque par amour a sa robe déchirée
De toute avidité, il sera purifié

C’est une traduction textuelle : l’expression " چاک شد " ayant une charge culturelle dont la valeur sémantique n’est en rien rendue, laquelle nécessite une explication en bas de page. Loin de refléter la richesse musicale et la valeur sémantique du texte d’origine, la traductrice s’en est tenue seulement à recréer une rime pauvre; dans le deuxième vers, l’énoncé " جمله عیبی " n’a pas été traduit.

شاد باش ای عشق خوش سودای ما     ای طبیــب جمـــله علت‌های مـــا

Sois heureux, mon amour, si loyal en affaires
Ô médecin de mon âme et de toute misère !

  " ای عشق خوش سودا" faisant allusion à un amour qui provoque de bonnes émotions spirituelles ;سودا"   "«ce sont les émotions psychologiques intenses qui sont les produits de l’amour » (Jaafari, 1366/1987 : 44). Dans le premier vers la traduction est interprétative. "Mon amour" est sans adjectif possessif, là aussi la traduction est littérale et la charge sémantique des mots traduits ne correspond pas avec celle du texte source .

ای دوای نخوت و ناموس ما      ای تو افلاطـون و جالینوس ما

Remède de mon orgueil et de ma vanité

Toi qui es mon Platon, mon Galien bien-aimé

Le texte persan commence par une apostrophe, laquelle manque à la transposition ; il devait y avoir des notes de bas de page pour souligner que Platon et Galien incarnent successivement ceux qui connaissent parfaitement l’âme et le corps humain. Dans le deuxième vers, l’équilibre est bel et bien respecté.

جسم خاک از عشق،بر افلاک شد      کوه،در رقــص آمد و چالاک شد

Par amour le corps-terre a volé vers le ciel

Et la montagne, agile, s’est mise à danser

La première partie fait référence à l’Ascension au sens général du terme ; le deuxième vers fait référence au fait que même la montagne immobile, faite de pierre, bougera si on lui inspire de l’amour. Dans la première partie, il vaut mieux utiliser ''la matière terrestre'' pour  جسم خاک " ''et ''devenue céleste'' pour " بر افلاک شد" Le mot "Cieux", est plus précis signifiant le monde du Royaume et des cieux (Le Petit Robert). L’approche littérale de Lefèvre est adoptée : la traduction est privée de la richesse qualitative, musicale et sémantique du texte de départ.

عشق، جـان طور آمد، عاشقا        طور، مســت و خرَّ موسی صاعقا

L’amour devint l’âme du Sinaï enivré

Voyant la montagne, Moise tomba foudroyé

Référence faite au verset 143 de la sourate A’raf :» A peine son Seigneur se fut-il doté au Mont, qu’Il le nivela, et Moise tomba évanoui en poussant un cri « (Jaafari, Op. cit. : 45). S’agissant d’une traduction textuelle, le sens lyrique et la musicalité du texte d’origine ne sont pas restitués. Il s’agit là d’un culturème, où le Mont Sinaï n’est pas spécifié.

با لب دمساز خود گر جفتمی     همچو نی من گفــتنی‌ها گفتمی

Si je trouvais des lèvres auxquelles m’accorder
Comme la flûte de roseau comme je saurais parler!

Ici aussi, la traduction est littérale et on remarque l’allongement et la distorsion dans la dernière partie pour laquelle nous suggérons : Comme le Ney, j’aurais dit tout ce qu’il y a à dire !

هر که او از همــزبانی شد جدا    بی‌زبان شد،گر چه دارد صد نوا

Séparé de celui qui parle la même langue

Même si on a cent mélodies, on perd sa langue.

Il s’agit d’une traduction entièrement textuelle : dans le deuxième vers, il y a déplacement entre le début et la fin de la phrase, il y a également l’allongement ; l’équilibre est altéré.

چونکه گل رفت و گلستان در گذشت     نشنوی زان پس ز بلبل ســرگذشت

Une fois la fleur partie et la roseraie passée

L’histoire du rossignol ne sera plus contée

 « Fleur » et « rossignol » font partie des symboles culturels iraniens ; faire passer les culturèmes, les différences de structure, les subtilités du texte d’origine, les sentiments qui s’y attachent et les non-dits, tout cela a constitué un défi important lors de la traduction de ce vers. Du reste, celle-ci manque de rythme et de sonorité.

جمله معشوق است و عاشق پرده‌ای     زنده معشـوق است و عاشق مرده‌ای

Le Bien-Aimé est tout et l’amant n’est qu’un voile

Le Vivant, c’est l’Aimé et l’amant n’est qu’un mort

On y constate un changement de structure syntaxique. Le sens de " پرده " n’est pas évident dans la traduction : « Si l’on entend le rideau par le rideau qui pend au pas de la porte, il aura un sens allégorique. Ce qui veut dire que l’amant est comme un rideau dont le mouvement ne vient pas de lui-même mais de l’Aimé ; d’autant plus que le mouvement du rideau provient du vent et non pas de lui-même. Ou si l’on prend " پرده " comme une allusion au voile de l’existence humaine et apparente de l’amant, cela signifie que l’existence illusoire de l’amant est un écran, le séparant de l’Aimé » (Zamani, 1392/2013 : 66). Mais selon nous, cela veut encore dire que Tout est l’Aimé et l’amant n’est qu’un écran où l’Aimé se présente. Le deuxième vers fait référence à « l’Unité de l’Etre et au verset 88 de la Sourate Al-Qesas » (Ibid. :66) : « Tout est pour périr sauf son Visage ». Il s’agit là aussi d’une traduction littérale à laquelle la richesse sémantique fait énormément défaut.

چون نباشد عشق را پروای او     او چو مرغی مانْد بی‌پر، وایِ او!

Si jamais l’amour ne se soucie plus de lui

Il est comme un oiseau déplumé, hélas pour lui !

Dans ce cas également, la traductrice s’est bornée à présenter une traduction textuelle comme Lefèvre a appelée la traduction littérale ; il y a allongement aussi. Etant toutefois fidèle au sens large du poème, Leili Anvar a essayé de préserver dans une certaine mesure le texte d’origine en utilisant la rime afin de créer une sorte d’harmonie entre les mots.

من چگونه هوش دارم پیش و پس     چون نباشد نور یـارم پیش و پس؟

Comment pourrais-je avoir conscience de ce qui est devant ou derrière moi quand la Lumière de mon Bien-Aimé n’est pas devant et derrière moi ?

Référence est faite au verset 12 de la sourate Hadid (Ibid. :66) :» Le jour où tu verras les croyants et les croyantes leur lumière courant devant eux et à leur droite » . Se contentant du sens superficiel des mots, la traductrice traduit selon ce que Lefèvre a appelé la stratégie interprétative ; l’emploi de majuscule dans le cas de la Lumière de mon Bien-Aimé, fait état de son unicité. Le mot یار" " , chargé d’une connotation culturelle, est tenu pour être masculin : Parce que selon les religions abrahamiques, Dieu est supposé être de nature masculine (Sedaghat, 2020 : 22).

عشق، خواهد کین سخن بیرون بود     آینه، غـــــمّاز نبود چون بـــــود؟

C’est l’amour qui veut qu’éclate cette parole

Si le miroir ne reflète rien, à quoi sert-il ?

Il s’agit là d’une traduction textuelle ; le sens lyrique, musical et sémantique du texte d’origine n’y est pas maintenu ; seul l’aspect superficiel du message a été transféré. Ainsi, au lieu de l’adjectif " غمّاز " un verbe a été employé, ce qui constitue une transposition et déforme la structure du texte ; il y a aussi allongement à la fin du vers.

آینه‌ات، دانــی چرا غمّاز نیست؟     ز آنکه زنگار از رخش ممتاز نیست

Sais-tu pourquoi ton miroir ne reflète rien ?

Parce que sur sa surface, tu n’as pas poli la rouille.

Comme dans la traduction littérale, seul le sens superficiel du poème a été maintenu et Leili Anvar a cherché à transmettre le sens et le contenu sémantique, sans préserver la mélodie des mots et le rythme de la langue de départ.

 

Conclusion

La poésie, reflet de la culture nationale, est chargée de l’esprit de culture et de race et ne peut être transpoasée dans d’autres langues. Elle est composée d’éléments tels que la musique, la rhétorique, les structures syntaxiques, les métaphores et les images, qui rendent leur transmission impossible. Pour ce qui est de la présente traduction, la fusion de la culture et de la langue persanes a constitué un défi majeur lors de la traduction de la poésie de Mawlavi, la traductrice n’a pas tenu pleinement compte des aspects culturels et linguistiques du texte source. Lors de la traduction de « Ney Nameh », Anvar a fait face à un triple défi majeur : primo, la distance formelle entre les systèmes des deux langues, qui s’est manifestée à plusieurs niveaux : syntaxique, grammaticale et lexicale. Deuxièmement, la présence de termes mystiques chargés de significations implicites et de non-dits, les rendant impossibles à restituer. D’une part, les références culturelles impossibles à traduire. Par ailleurs, la langue traduite et la langue traduisante n’ont pas la même perception pour les concepts tels que l’amour, la raison, l’âme, la souffrance, ou le mysticisme, qui sont des concepts propres à la poésie de Rûmi. Troisièmement, la poésie persane est généralement axée sur la forme, le rythme, le mètre et la mélodie y jouent un rôle considérable.

Les défauts généraux de la traduction en question peuvent être résumés comme suit : les valeurs poétiques et les subtilités du texte d’origine n’ont pas été transmises faute d’équivalent pertinent, les ajouts et les explications supplémentaires ont dénaturé la valeur littéraire du texte d’origine ; la traductrice a eu parfois du mal à découvrir le sens caché des expressions pour atteindre les couches sous-jacentes du texte. Parfois, les images ont perdu de leur sens originel lors de la transposition, provoquant ainsi la déformation de leur signifiance. Chez Rûmi la métrique a un lien étroit avec le contenu, et elle est difficilement transposable, ce qui empêche le public francophone de lire la traduction avec autant de plaisir que chez les Persanophones. Ainsi, malgré ses efforts pour fournir une traduction rimée et rythmée, la traductrice a parfois mésestimé les différences culturelles de ce poème où forme et fond s’associent, se trouvant souvent sous l’emprise de la rime et du sens, mais en sacrifiant le discours. Quant aux sept stratégies de Lefèvre, la traduction de Leili Anvar est plutôt littérale, rimée et interprétative ; aussi constate-t-on que les traductions phonémique et rythmique y sont quasiment négligées.

 

[1]. Nous préférons Le gémissement du Ney à La plainte de la flûte / du roseau, puisque si on choisit 'roseau' on néglige sa capacité instrumentale et le choix de 'la flûte' lui fera perdre la propriété naturelle de Ney, alors nous proposons le mot emprunté 'Ney'.

 

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